Monday, July 23, 2012

Arrêtons de nier la violence monothéiste !

A l'occasion de la polémique Soler / Onfray, JC Guillebaud (dans La Vie), Didier Long (sur son blog) et d'autres nous ressortent les arguments traditionnels de par nos prélats, du Vatican, de nombre de théologiens pour nier qu'il y ait plus de violence religieuse dans le monde monothéiste que dans le monde non-monothéiste.

 L'argument principal est bien connu : ce n'est pas Dieu qui est violent, mais l'homme. Et d'affirmer que les religions polythéistes sont tout aussi violentes : l'hindouisme et le polythéisme grec seraient violents, les totalitarismes du XXème siècle l'ont été encore plus.

 Tout le monde sera d'accord sur le fait que le monothéisme abrahamique est fondamentalement différent du polythéisme. Mais parmi les différences majeures figurent la prétention à la vérité unique, le dieu jaloux et l'ordre de brûler les idoles. Ces trois notions n'existent en effet dans aucune autre religion. Et ce n'est pas l'homme qui les a fantasmées, elles figurent en toutes lettres et de façon répétée dans l'Ancien Testament et dans le Coran ; quant au Nouveau Testament, il ne fait qu'"accomplir" l'Ancien, il vénère le même dieu, il n'a jamais renié ni le dieu jaloux ni l'ordre de brûler les idoles, les peuples évangélisés en savent quelque chose.

 Certes le monothéisme n'a pas inventé la violence humaine - oui l'homme fait souvent la guerre, qu'il soit grec, hindou, chrétien, musulman -, mais il a "inventé", ajouté une motivation de violence qui n'existe dans aucune autre religion, celle de brûler les idoles. Bien sûr pour "libérer" les peuples "idolâtres" de leurs chaînes, ce qui conduira St Augustin à dire : "l'Eglise persécute par amour" !

 Le moteur de la violence monothéiste est là, et toutes les exégèses du monde n'y peuvent rien. Les religions monothéistes ne sont évidemment pas que cela, elles sont d'ailleurs extrêmement diverses ; la violence monothéiste ne s'exerce pas non plus toujours, heureusement ; mais son moteur est là, logé au cœur de toutes les religions abrahamiques et à toutes les époques.

 Si la plupart des religions humaines ont été persécutrices à l'intérieur de leurs frontières - sauf semble-t-il, les religions indiennes avant l'arrivée en Inde des religions monothéistes -, peu l'ont été de façon aussi systématique, durable et sanglante que les religions monothéistes ; et surtout, aucune religion non-abrahamique n'a cherché à imposer ses dieux ou ses croyances à l'extérieur par la force : ni Alexandre, ni Cyrus, ni Rome, ni l'Inde. Certes Rome a détruit le Temple de Jérusalem, mais dans un acte de répression d'une révolte contre l'occupant romain, non pas pour imposer les dieux de Rome. De même quand les Américains ont bombardé Hiroshima, ce n'était pas pour convertir les japonais au christianisme, ce n'était pas une violence religieuse, mais une violence purement politique. En revanche quand les missionnaires encore aujourd'hui détruisent les objets de culte indigènes pour les remplacer par la croix, ou persuadent les indigènes de se laisser baptiser en échange d'un avantage matériel, c'est une violence religieuse, qui détruit la culture et le sentiment d'identité indigènes. On dira que le bouddhisme aussi est prosélyte, mais par syncrétisme et jamais (ou très exceptionnellement) par la violence. Sans doute certains moines bouddhistes n'hésitent pas à utiliser la violence à des fins politiques, mais en tant qu'hommes pour défendre des intérêts nationalistes, non pour imposer la voie bouddhique. Les Grecs et les Romains ne se sont jamais battus spécifiquement pour imposer leurs dieux.

 Il reste que, au moins depuis l'ère chrétienne, le judaïsme, berceau du monothéisme abrahamique, a subi la violence religieuse, ô combien, sans l'avoir lui-même exercée. Comment peut-on alors parler d'une "violence monothéiste" ? La question mérite réflexion. Mais c'est bien chez lui que les concepts du dieu jaloux et l'ordre de brûler les idoles ont vu le jour. D'autres particularités du judaïsme ont sans doute fait écran à cette violence, en particulier la priorité donnée à la dimension ethnique sur l'universalisme. En renversant l'ordre de ces priorités, le christianisme et l'islam ont rendu possible l'expression de la violence liée au dieu jaloux. 

Que les totalitarismes du XXème siècle aient atteint des sommets de violence - autre argument servi par nos bons auteurs - doit donner matière à réflexion plutôt qu'à d'être utilisés comme alibis ! La réflexion ne devrait pas omettre que ces totalitarismes sont apparus dans des pays de culture chrétienne, à laquelle ils ont emprunté maints concepts, en particulier l'unicité de la vérité, le parti unique, le messianisme. 

Stigmatiser soit le Djihad, soit l'Inquisition, soit Josué passe à côté du problème central, le potentiel de violence du dieu jaloux, commun aux trois religions monothéistes, inconnu de toutes les autres religions. Veut-on que les juifs et les chrétiens continuent à accuser les musulmans, les musulmans à accuser les juifs et les chrétiens, et les juifs accuser les chrétiens et les musulmans, car après tout eux au moins n’ont pas commis depuis 2000 ans une seule violence religieuse ! Est-il encore temps de jouer avec ce mistigri, ou de chercher refuge derrière de savantes exégèses, ou encore de détourner l’attention en disant « regardez les vilains polythéistes » ? Il ne suffira pas non plus de remplacer "dieu jaloux" par "dieu exigeant" ! Il faudrait d'abord ne plus qualifier les dieux d'autrui d'idoles à détruire, ne pas continuer à affirmer qu'"une église existe pour évangéliser", remplacer le plus officiellement possible l'objectif de "convertir" par celui de "témoigner". Cela ne suffira sans doute pas, mais on pourrait au moins commencer par reconnaître les faits, ne plus se mentir à soi-même, ne plus se contenter de se croire meilleur que les autres, réfléchir à s'améliorer soi-même.

Les philosophes et historiens grecs ont publiquement déploré les violences politiques et militaires, Bouddha et plus tard la Constitution de l'Inde moderne ont dénoncé le système des castes indien. On attend toujours que de grandes autorités monothéistes dénoncent enfin la violence monothéiste, et engagent un travail collectif permettant d'en sortir. Le déni systématique actuel y fait obstacle.

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